
En Afrique de l’Ouest, la désinformation n’est plus une menace invisible, elle est désormais une arme redoutable, à la fois politique, sociale et genrée.
« Le mensonge a des jambes courtes, mais sur les réseaux sociaux, il court souvent plus vite que la vérité »
Une fabrique numérique du soupçon
Depuis quelques années, une série de vidéos virales, de faux comptes et de rumeurs savamment orchestrées sèment la confusion dans l’opinion publique ouest-africaine. Derrière l’anonymat d’un pseudo ou la crédibilité d’un faux média, des récits mensongers s’imposent : femmes accusées d’infidélité sur la base de deepfakes, activistes féministes traitées "d'agents de l’Occident", mères célibataires humiliées publiquement. Le cyberespace devient un tribunal sans règles, où la désinformation n’épargne personne et surtout pas les femmes.
Le genre, cible privilégiée de la propagande
Les campagnes de désinformation à caractère genré ne sont pas des accidents, elles sont planifiées. Elles exploitent les stéréotypes, renforcent les normes patriarcales et sabotent les avancées des droits des femmes. À chaque progrès, une loi, une campagne, une prise de parole, une contre-offensive se déploie : posts anonymes, viraux, intimidations numériques.
Les jeunes filles premières victimes collatérales
Dans les collèges de Dakar, Cotonou ou Nouakchott, des adolescentes subissent un harcèlement en ligne nourri de rumeurs sexistes et de photomontages.
L'impact est concret, déscolarisation, isolement social, traumatismes psychologiques. Le numérique, censé les connecter au monde, devient parfois l'instrument de leur mise en silence.
Une réponse fragmentée mais en germination
Si les États peinent encore à réguler les plateformes, la société civile se lève. À Ouagadougou, Lomé ou Banjul, des collectifs comme Femme et Vérité, Digital Sisters Africa ou encore She Leads Facts forment des jeunes filles à détecter et démonter les infox.
Mais cette résistance a besoin de soutien technique, juridique, politique. Et surtout, elle appelle à une réappropriation féminine des récits en ligne. En Afrique de l’Ouest, la désinformation est genrée parce que le pouvoir est encore inégal. Lutter contre les fake news, c’est aussi faire avancer l’égalité. C’est exiger des plateformes qu’elles rendent des comptes. Et c’est refuser que l’espace numérique devienne un miroir déformant de nos sociétés patriarcales.
Léa Décraene