Indépendant depuis le 28 novembre 1960, le pays a célébré ce mardi sa fête nationale dans la ville de Kaedi. Une première officielle pour le nouveau drapeau et le nouvel hymne choisis lors de l'adoption par référendum de la réforme constitutionnelle en août.
C'est à Kaedi, à l'extrême sud du pays, au bord du fleuve Sénégal, que la Mauritanie a étrenné, ce mardi 28 novembre, ses nouveaux hymne et drapeau, lors de sa fête nationale. La petite ville de 35 000 habitants a paru ployer devant l'arrivée soudaine d'une foultitude de ministres, conseillers, dignitaires, courtisans et représentants étrangers, qui entouraient le président Mohamed Abdel Aziz.
Les nouveaux hymnes et drapeaux mauritaniens ont été adoptés par référendum, le 5 août, lors d'une réforme constitutionnelle dont la mesure phare était la suppression du Sénat, et son remplacement par treize conseils régionaux élus.
Deux bandes rouges, l'une en mémoire des résistants à la colonisation française et aux martyrs tombés depuis, notamment sous les balles des terroristes islamistes, l'autre bande symbolisant l'unité du pays, ont été ajoutés à l'ancien drapeau mauritanien: un croissant de lune horizontal, les pointes tournées vers le haut, surmonté d'une étoiles à cinq branche également jaune, sur un fond vert.
L'hymne national a lui été complètement changé. L'ancien reposait sur un poème du XIXe siècle de l'érudit musulman Baba ould Cheikh Sidiya, qui ne louait aucunement une patrie n'existant pas alors, mais la plus stricte dévotion. «Sois une aide pour Dieu/ et censure ce qui est interdit/ Et respecte la loi/ Qu'Il veut que tu suives». Telle était la première strophe de l'hymne mauritanien adopté lors de l'indépendance de 1960, que mit en musique le Français Tolia Nikiprowetski. D'origine russe, cet ethnomusicologue adepte de la technique sérielle n'avait malheureusement pas composé un air des plus entraînants.
Une coexistence toujours épineuse dans le pays
La musique du nouvel hymne, créée en Egypte, est, à l'inverse, une marche allègre, qui a la saveur un peu désuète d'un opéra du XIXe. Les paroles sont vraiment celle d'un chant national, scandé par un «Patrie te défendrons/ Sacrifions notre vie pour toi». Dans ce «Pays de fiers, de bons guides», «cette citadelle imprenable du Livre», est loué la «concorde» entre tous ses enfants. Une nation, est-il dit, à «l'Arabité glorieuse, se ressourçant à l'Africanité, origine de toutes tes douceurs».
Un hymne national décrit plus un projet qu'une réalité. Jusqu'à aujourd'hui en Mauritanie, la coexistence demeure souvent épineuse entre les populations Maure, Haratine (ces anciens esclaves appartenant à la culture arabe de leurs anciens maîtres), et la composante d'Africains subsahariens, qui vivent principalement le long du fleuve Sénégal. «Notre projet était de raviver la construction de notre République, explique un conseiller à la présidence, en renforçant par ces symboles forts l'unité nationale et la cohésion sociale.»
A Kaedi, ville où se mélangent les trois composantes essentielles de la nation mauritanienne, le nouveau drapeau flottait gaiement mardi, comme le nouvel hymne patriotique, dans l'air saturé de soleil. Ces nouveaux symboles sont, pour l'heure, les deux résultats tangibles de la réforme constitutionnelle d'août. Lancée en 2015, relancée en 2016, elle aura suscité l'ire de grands partis de l'opposition, tandis que d'autres formations jadis hostiles au pouvoir acceptèrent la discussion proposée par la présidence. La résistance des sénateurs, pourtant majoritairement membres du parti au pouvoir, fut acharnée. Mais peut-on imaginer un Sénateur accepter de bonne grâce la suppression de son assemblée?
Plusieurs figures emblématiques de l'opposition n'ont en fait jamais pardonné à Mohamed Abdel Aziz d'être arrivé par un coup d'Etat en 2008, bien qu'il fut ensuite élu à la présidentielle en 2009, puis réélu en 2014. Au début de chacun de ses mandats, ce militaire de carrière aura, dans l'espoir d'ouvrir un dialogue, tendu la main à l'opposition, mais la plupart de ses chefs de file ont, à chaque fois, rejeté son offre, en suspectant un piège électoral. Le dernier «piège» du président, selon l'opposition, serait de se présenter à la présidentielle de 2019, en contradiction avec la Constitution qui n'autorise que deux mandats à la magistrature suprême. L'intéressé s'est toujours défendu de pareilles intentions. Mais comme sa stature écrase le jeu politique mauritanien, et qu'aucune personnalité, dans son propre camp comme dans l'opposition, ne se dégage réellement pour lui succéder…
Par Thierry Portes
Envoyé spécial à Kaedi
Le Figaro