Il aura suffi de neuf minutes d'un discours émouvant, dimanche soir aux Golden Globes, pour que la perspective d'une candidature d'"Oprah" à la présidentielle américaine de 2020 soit prise très au sérieux. Mais la reine du talk-show n'est pas seule : people, milliardaires et PDG se bousculent au portillon.
Oprah Winfrey présidente des Etats-Unis en 2020 ? Elle y "réfléchit activement"
Le frisson a saisi, sans prévenir. Comme en 2004, quand un sénateur freluquet de l’Illinois avait pris la parole à la convention démocrate de Boston. Moment magique et rare de la politique : l’électricité passe, vous avez la chair de poule, vous communiez soudain avec l’orateur… C’est ce qui s’est passé dimanche soir, lors de la soirée des Golden Globes, quand Oprah Winfrey a parlé. Neuf petites minutes, mais cela a suffi pour que deux mots prennent d’assaut les réseaux sociaux et les salles de rédaction : "Oprah présidente !"
"En 1964, j'étais une petite fille assise sur le linoléum de la maison maternelle, à Milwaukee…" Tout y était : les origines humbles, la ségrégation, la lutte pour les droits civiques, le droit des femmes à ne plus vivre dans "une culture brisée par des hommes à la puissance brutale" et la promesse d'une "aube nouvelle" pour la jeune génération.
Discrédit des partis politiques
Crédible ? Pendant la campagne présidentielle de 2008, l'un des spots télé les plus efficaces de John McCain contre Barack Obama était intitulé "Célébrité" et comparait Obama à la starlette Paris Hilton. Comme les temps ont changé… Non seulement les Américains aiment leurs stars, comme ils l'avaient déjà montré en élisant Reagan et Schwarzenegger et l'ont confirmé en choisissant Trump, mais la campagne 2020 se profile dans un climat de discrédit profond du Congrès et de partis politiques qui ne contrôlent plus leur base.
Du coup, c'est la bousculade, près de trois ans avant l'élection, pour remplacer Trump à la Maison-Blanche. En mai dernier, le journal parlementaire "The Hill" listait déjà 43 noms possibles côté démocrate ! Des stars de la politique, des nobody du Congrès, des gouverneurs mais aussi un nombre inédit de milliardaires et/ou célébrités. Logique : avec un Trump président, la peur du ridicule et la crainte de ne pas être à la hauteur ont disparu, remplacées par une seule question : "Si lui, pourquoi pas moi ?"
Oprah Winfrey : "Un nouveau jour se lève, grâce à de nombreuses femmes formidables"
De tous les prétendants people, Oprah Winfrey, 63 ans, part super-favorite. Elle est milliardaire mais, à la différence de Trump, cette enfant d'un quartier pauvre, élevée par une mère adolescente célibataire, ne doit sa fortune à personne. Elle est extrêmement populaire, sa célébrité assise sur 40 années de talk-shows éclipsant celle de Trump avant 2016. Elle est incroyablement influente : selon une étude de la Northwestern University, son soutien à Obama, pendant les primaires de 2008, a apporté un million de voix au candidat et lui a permis de doubler Hillary Clinton. Elle a une image plutôt consensuelle : quelques mois après avoir annoncé son soutien à Obama, un sondage CBS montrait que 54% des républicains l'aimaient bien (le chiffre est aujourd'hui plus proche de 30%).
"Elle n'a plus le choix"
Elle est parfaitement alignée sur son époque, avec son combat pour la cause des femmes et le fait qu'elle a cofondé en 1998 la chaîne Oxygen, s'adressant à un public féminin. Elle affiche une carrière d'actrice plus que respectable, avec, entre autres, un beau rôle dans "Beloved", le film inspiré du roman de Toni Morrison. Last but not least, son mélange inimitable d'empathie, d'humour et de curiosité n'a pas son pareil pour transformer les plateaux de télé en confessionnaux et faire pleurer dans les chaumières.
Oprah Winfrey présidente des Etats-Unis ? Elle y "réfléchit activement"
Est-elle intéressée ? Plusieurs proches le prétendent, elle se contente de démentir de plus en plus mollement toute ambition présidentielle. "C'est aux gens de décider", a déclaré dimanche au "Los Angeles Times"Stedman Graham, son compagnon de longue date. "Elle le ferait, c'est clair." "Je ne crois pas qu'elle avait l'intention" de se déclarer, dit de son côté l'actrice Meryl Streep, "mais maintenant, elle n'a plus le choix".
Un sondage publié en mars par l'institut Public Policy Polling la donnait gagnante en 2020 contre Trump, à 47% contre 40% ; mais le même mois, un autre sondage (Quinnipiac) indiquait que 69% des Américains ne souhaitaient pas qu'elle se porte candidate en 2020.
Une pléthore de concurrents
Oprah Winfrey n'est pas sans concurrents. Parmi les people et PDG tentés par l'aventure, il faut aussi compter sur…
Dwayne Johnson, alias "The Rock". La montagne de muscles au sourire Colgate a commencé à parler d'une candidature sur le ton de la plaisanterie, avant d'indiquer en mai dernier qu'il considérait cela comme "une vraie possibilité".
Le rappeur Kanye West, époux de Kim Kardashian, a "lancé" sa campagne à l'élection de 2020 dans un speech aux MTV Video Awards de 2015, sans que l'on sache s'il plaisantait ou non.
Le milliardaire de la finance Tom Steyer, qui a galvanisé la base démocrate en injectant 20 millions de dollars dans une campagne pour destituer Trump, est désormais à la tête d'un précieux fichier de 4 millions de signatures. Il a indiqué mardi qu'il ne "serait candidat à rien", mais cet homme qui s'avoue "absolument ambitieux" a mille fois le temps de changer d'avis.
Mark Cuban, autre milliardaire et propriétaire d'une équipe de basket, les Dallas Mavericks, est comme Trump un mélange d'homme d'affaires et de personnalité de la télé. Il envisage très sérieusement une candidature.
Le moulin à rumeurs a beaucoup tourné quand Mark Zuckerberg s'est lancé dans un tour d'Amérique qui ressemblait à un parcours de reconnaissance. Problème : l'image de Facebook s'est fortement dégradée ces derniers temps, entre autres du fait de son aveuglement vis-à-vis des "fake news" et trolls russes pendant la campagne de 2016.
Sheryl Sandberg, bras droit de Zuckerberg, serait plus crédible. Auteure d'un best-seller exhortant les femmes à assumer leur ambition, elle connaît bien Washington, ayant fait partie de l'équipe du secrétaire au Trésor de Bill Clinton, Larry Summers. Elle figure régulièrement au "Top 10" des femmes les plus puissantes au monde établi par le magazine "Forbes".
Howard Schultz, ex-PDG de Starbucks, dont il reste président exécutif, ne manque pas une occasion de s'impliquer dans le débat politique et pratique la novlangue de candidat, estimant que "le pays a besoin d'une transformation morale, culturelle et économique".
Inutile de préciser que la liste n'est pas close…
Le risque d'un candidat people
Ces "Trump babies" ont-ils réellement une chance ? Aux yeux de beaucoup d'Américains, l'expérience politique est devenue un handicap plus qu'un atout. George W. Bush avait ouvert la voie, construisant son succès sur une image de cancre et d'anti-intellectuel, Trump a parachevé le travail de démolition en promettant d'"assécher le marais" de Washington (il fait évidemment tout le contraire).
Il est vrai, aussi, qu'aucun candidat démocrate "normal" ne s'est imposé : Bernie Sanders aura 79 ans au moment de l'élection de 2020, Elizabeth Warren (sénatrice du Massachusetts) est perçue comme trop à gauche par une bonne frange de l'électorat, Kirsten Gillibrand(sénatrice de New York) est jugée trop opportuniste, Andrew Cuomo (gouverneur de New York), trop antipathique, etc. De toute évidence, il existe un espace pour un candidat dont le charisme permettrait de "faire le pont" entre la gauche et la droite du parti.
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Mais peut-être pas en 2020. Les Américains ont traditionnellement tendance, quand ils sont mécontents d'un président, à choisir un successeur aux antipodes du sortant : le strass et paillettes de Reagan après les pulls de Carter, le saxo de Bill après les rictus coincés de Bush père, le novice Obama après l'héritier dynastique Bush fils… L'histoire ne se répète pas toujours, comme Donald Trump le prouve chaque jour, mais il n'est pas sûr que les électeurs démocrates, face à un enjeu aussi énorme qu'une réélection de Trump, souhaitent prendre le risque d'un candidat people inexpérimenté. Oprah elle-même le reconnaissait tout récemment : avant Trump, confiait-elle, "je me disais, oh mon Dieu, je n'ai pas l'expérience, je ne connais pas assez de choses". Avant d'ajouter : "Maintenant je me dis, 'oh…'"
Philippe Boulet-Gercourt
nouvelobs.