"Monsieur le Président de la République française,
La Mauritanie attend de votre visite davantage qu’une escapade sous les tropiques, si tristes en l’occurrence.
Lorsque j’appris votre possible passage par la ville de Kiffa, chef-lieu de mon Assaba natale, l’espoir et la reconnaissance m’arrachèrent, sans ménagement, de la torpeur que vous comprendrez aisément au spectacle de ce pays en ruines, un de plus sur un continent dont les lambeaux de mémoire, de liberté et de diversité culturelle s’effritent, dans la régression mortifère vers les ténèbres.
La Mauritanie perd chaque jour son islam tolérant de naguère ; nos mahadhra, où les jeunes gens apprenaient la théologie, la poésie courtoise, l’histoire et les arts de la rhétorique, se muent en medersa d’inspiration afghane ; une internationale d’œuvres prétendument caritatives y distille, depuis bientôt quarante ans, son venin de misogynie, d’inculture et d’excitation au crime. En quatre décennies d’un financement exempt du moindre contrôle, la fabrique de monstres a dépassé ses objectifs de rendement.
Les kamikazes de la relève
Aujourd’hui le pays, défiguré par l’imitation d’un wahhabisme que même l’Arabie saoudite tente de fuir, forme et exporte en Afrique subsaharienne des milliers de jeunes fanatiques, les kamikazes de la relève. Du Mali à l’Irak, mes compatriotes, qu’ils soient logisticiens, soldats ou aumôniers, sont particulièrement bien intégrés dans les groupes armés.
La Mauritanie, membre du G5 Sahel, applique la législation de l’extrémisme religieux qu’elle prétend combattre ; en témoigne la révision par nos députés, le 27 avril, de l’article 306 du Code pénal : le nouveau texte, proposé par le gouvernement en dehors de toute revendication de la rue, abroge la faculté du repentir et expose l’auteur de blasphème à l’exécution physique, sans l’échappatoire d’une circonstance atténuante.
Monsieur le Président, vos conseillers, de bonne foi, vous représentent la Mauritanie en modèle d’efficacité contre le terrorisme ; pourtant, elle devient la base d’un recrutement sur le long terme et, déjà, un centre reconnu d’endoctrinement à la haine de l’Occident, de la démocratie, des droits de la femme et de la liberté de conscience. Ne sont-ce pas là les valeurs où se vérifient l’identité et la vocation même de la France ?
En 1990, votre lointain prédécesseur François Mitterrand n’hésita pas à interpeller son homologue de Mauritanie sur le sort d’intellectuels et d’officiers agonisant dans les bagnes de Oualata et de Tichitt, en plein désert. Certains y mouraient à petit feu, victimes d’un despotisme que ne pouvait cautionner la France de « J’accuse ». L’intervention, formulée avec éloquence et vigueur de la part de M. Mitterrand, permit aux rescapés d’échapper à une mort dans la souffrance et l’effroi.
Surenchère de l’inquisition
Aujourd’hui, vous m’en excuserez sans doute, je me prévaux du précédent pour vous intéresser au sort de mon client, Mohamed Cheikh Mkheitir, un jeune blogueur, auteur d’un texte dissident sur Internet, lequel lui valut la vitupération publique, la peine capitale et, au total, une détention de quatre ans. Or après son repentir et la commutation du verdict en deux années de prison, les autorités le retiennent, hors cadre légal, depuis novembre 2017, dans un lieu inconnu, loin de ses avocats et de sa famille, au prétexte d’un recours devant la Cour suprême. En droit, il s’agit d’une séquestration, d’où la crainte d’assister, impuissant, à l’assassinat déguisé du prévenu.
Telle est la Mauritanie où vous allez séjourner ; beaucoup de mes compatriotes vous souhaitent la bienvenue et s’enorgueillissent d’un lien particulier à Marianne, la république des gueux. Au nom de la France de l’irrévérence, de la liberté de pensée et des révolutions conduites à terme pour le genre humain, je vous demande d’accorder asile et protection à Mohamed Cheikh Mkheitir ; ce garçon n’a tué ni volé personne. Il a été humilié, maintes fois promis au gibet, en somme brisé, pour satisfaire la surenchère de l’inquisition. Ses détracteurs alimentent la source nourricière des tueurs de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher, du Bataclan, de Nice ou du père Jacques Hamel.
Monsieur le Président, nous subissons les assauts d’un ennemi commun en ce vaste théâtre des opérations que voici, notre planète à jamais estropiée sous l’outrage des nervis à chapelet. Sur le champ de bataille, les hommes d’honneur n’abandonnent pas le blessé, gisant, quand il implore secours.
Par Mohamed Moïne
Mohamed Moïne est un avocat mauritanien qui défend le blogueur Mohamed Cheikh Mkheitir.
Le Monde Afrique