Quand tu ne seras plus là (Deuxième partie)

lun, 21/01/2019 - 17:32

« Tu sais que tu dois livrer une rude bataille non pas pour préserver les acquis mais pour imposer tes choix. En fait, l’un vaut l’autre, n’est-ce pas ? Et, jusque-là, ça a bien marché. A l’Assemblée, tu as réussi un coup de maître en imposant Baya, un homme à qui tu accordes apparemment une confiance sans limites, que d’aucuns considèrent comme ton double, et Boydiel le Sage, malgré ce qu’en dit l’opposition. En sabordant son parti Al wiam, le maire de Ndiago, désormais premier vice-président de l’Assemblée nationale au nom du parti au pouvoir, l’Union pour la République  (UPR) met fin à l’ambiguïté politique de son "opposition responsable". Il était dans l’antichambre du pouvoir, maintenant, il est en plein dedans ! Et toi, tu as forcément un homme "habité" par la politique, et dont l’une des qualités première est de ne jamais renier ses engagements. N’est-il pas un des rares ministres de Taya à s’être astreint à ne pas médire de lui, malgré les erreurs de l’homme exilé au Qatar depuis sa chute en août 2005? On rétorquera peut-être qu’il a trompé l’opposition ! Oui, si l’on considère qu’en politique, les positions sont figées, qu’on se condamne, une fois pour toutes, à être opposant à vie ou « majoritant », alors que le Mur de Berlin est bien tombé en 1989.

Le problème de ta majorité est qu’elle commence à bouger dans tous les sens. Mais on peut te faire confiance.Tu sais, macha Allah, comment diriger cette arche de Noé dans les eaux tumultueuses de la politique. Cette vision des choses t’a permis de contrôler une situation qui, sous Taya, avait fini par tourner à la pagaille généralisée.

Et c’est seulement pour écarter un tel risque que tu dois rester sur tes gardes. Rien n’est encore joué. Disons plutôt que c’est comme si la Mauritanie s’apprêtait à revivre le tumulte de 2007, quand le camp de Sidioca était opposé à celui d’Ahmed. Quand l’armée était aussi divisée autour de ces deux « champions » qui répondaient, pourtant, au même profil : anciens ministres de Moktar et fils de « grandes tentes » maraboutiques issus tous deux du centre du pays. Deux candidats qui n’étaient différents que par la composition (recomposition plutôt) des alliances politico-militaires qui défendaient intérêts cachés et privilèges assumés. Ils portaient les espoirs de réussite politique et sociale des autres, de milliers d’hommes et de femmes qui savaient qu’il suffit d’un rien pour qu’ils deviennent « quelque chose ».

Aujourd’hui, le pays s’apprête à jouer le général contre le colonel, l’est contre le nord. Ghazouani contre Baya, dans ce qui ressemble fort bien à une primaire ? L'un de ces deux hommes sera notre futur président. C’est le scénario le plus probable. La victoire de l’opposition en 2019 relevant de l’invraisemblable. Ce qui n’avait été possible ni en 1992 ni en 2007 l’est moins aujourd’hui avec des militaires « civilisés » et rompus à la manœuvre politique.

La nature l’emporte toujours au bout du compte. Les hommes politiques, le capital, l’élite et les tribus sont déjà « en mouvement ». Ils ont longtemps attendu pour être sûrs que le troisième mandat n’est plus dans tes calculs. C’est connu, le courage n’est pas la première vertu de bon nombre de ceux qui ont choisi de faire carrière en politique. La notion de « bon risque » est inconnue chez nous. Chacun suit le mouvement et s’évertue à tirer profit des opportunités. De l’opportunisme ? C’est « en situation » qu’on se rend compte, tous les jours, que rares sont ceux qui refusent la perche tendue par le pouvoir.

La guerre de succession aura donc bien lieu au sein même de ta majorité. Le « pousse-toi que je me place » a déjà commencé et tu as bien fait de tempérer les ardeurs. L’incertitude crée la peur, et ne pas savoir vraiment qui sera aux commandes en 2019, après ton départ, répond aux mêmes exigences de discipline qu’impose cette fin de second mandat. Cette fin de règne. Tu es encore maître de ton destin, ce qui n’est pas le cas des hommes et femmes qui t’entourent. Eux, te doivent tout. Ce qu’ils sont et ce qu’ils ont été. Ce qu’ils seront peut-être. Tu as sorti la plupart du néant et ils risquent d’y retourner quand tu ne seras plus vraiment aux commandes. Ils pensent que leur avenir dépend non pas de l’engagement politique, nécessaire pour que le Système perdure, mais uniquement de ta présence.

Tu as dit que tu ne quitteras pas la politique et certains s’empressent de considérer cette déclaration comme une assurance-vie. Un aveu de culpabilité et de non existence propre. Ce sont tes hommes, tu le comprends très bien. Un peu à l’image de ces anciens pirates qui écumaient le bassin de la Méditerranée ou la Mer de Chine. Ils n’avaient de considération que pour le butin et l’aventure. Personne ne veut savoir comment tu t’y prendras pour garder la main. Tu as dis que tu ne laisseras pas le pays retomber entre les mains de ceux qui le feront revenir à la case départ. 2005 ou 2007 ? Pas de troisième mandat, tu as dit, mais quoi alors? Premier ministre? Vice-président? Président du Parti? Tu seras quand même quelque part, pour veiller au grain. Ce sont là des scénarios tous envisageables mais qui nécessitent des aménagements. Il faudra d’abord t’assurer qu’aucun d’eux ne présente des failles car ils n’ont jamais été éprouvés. Un président qui part n’a plus de pouvoir. Il se découvre. Il est hors-jeu. Tout se reconstruit, sans lui, autour de celui qui le remplace. La migration politique peut prendre du temps mais le processus est inéluctable. Moktar, Moustapha, Louly, Bousseif, Haidalla, Maawiya - surtout lui - Ely et Sidi sont passés par là. L’oubli qui prend la place de la gloire. Le président est parti, vive le président !

Je ne te dis que ce que tu sais déjà mais tu as peut-être un plan pour conjurer ce - mauvais - sort. Tu as jusque-là bien manœuvré. Tout te réussit, machalla. Quand la chance semble t’abandonner, tu tires ton succès de la naïveté de tes adversaires. L’Accord de Dakar, en 2009, est la parfaite illustration d’un rapport de forces qui a toujours été à ton avantage, malgré les doutes. A chaque fois,  l’opposition joue et perd. Elle cherche le compromis et se retrouve en pleine compromission. Elle tue l’espoir dans l’effluve de l’amertume.

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SNEIBA Mohamed

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