L’enquête relative à l’assassinat de deux chauffeurs de camions marocains sur le territoire malien continue d’avancer, mais déjà la plupart des regards se tournent vers l’Algérie et ses services de renseignement.
“Cousues de fil blanc”, telles seraient, à en croire “une source diplomatique algérienne” consultée par le média électronique Tout sur l’Algérie (TSA), les accusations portées à l’encontre du régime algérien d’être derrière l’attaque terroriste ayant causé la mort de deux camionneurs marocains et la blessure d’un troisième au Mali. “Ces accusations stupides et infondées sont sans intérêt et ne méritent pas que l’on s’y attarde,” a notamment balayé ladite source. Et pourtant… Revenons d’abord au coeur de l’affaire, intervenue le 11 septembre 2021 à Didiéni, une commune située dans la région de Koulikoro, dans la partie sahélienne du Mali.
Ce jour-là, deux camions conduits par des chauffeurs marocains y arrivent depuis le Sénégal voisin et qui ont pour destination finale la capitale, Bamako, située à quelque trois heures de route plus au sud. Rien là de bien extraordinaire: les camionneurs marocains ont la réputation de “coudre”, comme ils disent dans leur langage, les routes de l’Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire de les faire en long, en large et en travers, transportant ici et là toutes sortes de marchandises. Et ceux qui allaient, malheureusement, rendre leur dernier souffle à Didiéni en étaient particulièrement coutumiers, l’un d’eux, Lahoucine Id Bella, ayant même récemment lancé une société de transport international couvrant également l’Europe -l’autre camionneur tué s’appelle, pour sa part, Hassan Bassou.
Ils savaient donc où ils mettaient les pieds, mais ce qu’ils ignoraient, hélas, c’est qu’une bande terroriste les attendrait cette fois au tournant. Car bien évidemment, l’attaque qu’ils ont subie n’avait rien d’arbitraire et a à coup sûr été soigneusement préparée; les nombreux témoins locaux affirmant notamment aux médias que les terroristes s’étaient trouvés de longues heures durant à attendre, avant de se mettre à les poursuivre aussitôt qu’ils étaient entrés dans leur ligne de mire. Ce qui présuppose, par ailleurs, un travail d’intelligence bien ficelé sur lequel on reviendra. Et plus troublant encore, rien n’a été pris dans les camions, comme si seuls les chauffeurs intéressaient les terroristes… Et seuls les chauffeurs semblaient effectivement les intéresser. Mais pourquoi donc?
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Secret de polichinelle
Au cours de ses différentes interventions dans les médias, l’ambassadeur du Maroc à Bamako, Hassan Naciri, s’est, pour l’instant, refusé de se prononcer, se contentant simplement d’indiquer qu’une enquête était en cours. Et en effet, celle-ci est actuellement menée par les autorités maliennes, qui bénéficient dans ce sens de l’appui de leurs homologues marocaines. Il se dit, ainsi, que des agents des services de renseignements nationaux seraient d’ores et déjà sur place, sans qu’il soit toutefois possible de vérifier l’information. Mais on peut, ceci étant, imaginer qu’une des pistes actuellement envisagées soit celle de l’Algérie. Celle-ci est, à cet égard, comme chacun le sait, fortement présente au Sahel, où c’est un secret de polichinelle qu’elle a des attaches avec les organisations terroristes de la région. Parmi ces organisations, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui fusionne depuis mars 2017 plusieurs sous-organisations jihadistes de la région et dont le chef n’est autre qu’Iyad Ag Ghali, un Touareg malien possédant également, du fait de sa filiation maternelle, la nationalité algérienne.
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Connexions troublantes
En octobre 2016, le quotidien français Le Monde avait, à ce propos, révélé que c’est sur intervention de l’Algérie que la France avait été empêchée d’exécuter M. Ag Ghali, qu’elle avait pourtant à bout portant. Autre chef terroriste ayant également des accointances avec les services de la voisine de l’Est, Lehbib Ould Ali Ould Saïd Ould Joumani, plus connu sous son nom de guerre “Adnane Abou Walid al-Sahraoui”. “Neutralisé” ce 15 septembre 2021 par l’armée française après des années où il fut le leader de l’organisation de Daech dans le Grand Sahara, c’est en tant que membre des milices du mouvement séparatiste du Front Polisario qu’il avait fait ses premières armes, avant de s’engager par la suite dans le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), resté célèbre pour l’opération d’enlèvement, en avril 2012, de sept fonctionnaires du consulat d’Algérie dans la ville de Gao, au Mali, dans le cadre d’une opération dans laquelle on sait aujourd’hui, grâce notamment aux révélations de l’anthropologue britannique Jeremy Keenan, que la sécurité militaire algérienne, le Département de renseignement et de sécurité (DRS), avait trempé de façon trouble -le patron du département, Mohamed “Toufik” Médiène, aurait entre autres voulu, selon d’autres sources, faire étalage de son pouvoir de nuisance au chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, avec qui il était alors en concurrence, ce qui aurait aussi amené aux attaques terroristes du site gazier d’In-Amenas en janvier 2013.
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Bande terroriste
D’aucuns rétorqueront bien sûr qu’aussi avérées qu’elles soient, les connexions entre l’Algérie et les groupes terroristes du Sahel ne sauraient permettre d’affirmer l’implication algérienne dans l’attaque de Didiéni, mais ceci n’est guère recevable pour au moins deux raisons: la première, c’est que la partie algérienne ne pouvait tout simplement pas ignorer l’imminence d’une telle attaque, elle qui a pratiquement des yeux et des oreilles partout parmi les groupes actifs au Mali, et la seconde, c’est que la bande terroriste qui a perpétré l’attaque était clairement bien mise au parfum, ce qui nécessite des moyens techniques, technologiques et logistiques que seul un État peut lui fournir.
Certaines sources parlent notamment de la mise à contribution d’hommes du Polisario, mais la chose n’est pas vraiment crédible étant donné que celui-ci ne dispose pas à proprement parler de commandos. Il faudrait plutôt penser, soulignent des observateurs mieux avertis, à des hommes de l’ancien Groupement d’intervention spécial (GIS) algérien, officiellement dissous au milieu de la décennie 2010 mais qui selon de nombreux observateurs maintiendrait toujours une existence interlope.
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Escalade diplomatique
Mais pourquoi tout cela, alors? Pourquoi l’Algérie chercherait-elle désormais à, éventuellement, user de méthodes dignes du régime libyen sous Mouammar Kadhafi, avec notamment l’attentat de Lockerbie en décembre 1988? Une réaction aux succès du Maroc en Afrique de l’Ouest, où sa demande d’adhésion à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) continue d’avancer bon train? C’est à supposer, tout comme il faut rappeler la tentative algérienne de la fin de l’année 2020, et ce par le truchement du Polisario, de bloquer la circulation des biens et des personnes entre le Maroc et la Mauritanie et de là le reste de la sous-région ouest-africaine, au point que les Forces armées royales (FAR) aient dû, après 23 jours, intervenir pour libérer le passage.
Sans compter l’escalade diplomatique où l’Algérie entraîne, depuis l’arrivée à la présidence en décembre 2019 de Abdelmadjid Tebboune, avec comme ultime conséquence la rupture, le 24 août 2021, des relations bilatérales. Il faudrait, en vérité, plutôt s’attendre à tout, et surtout à n’importe quoi...
Maghreb Hebdo