Mauritanie : Mama Mint Moustapha, Seddoum Ould Ahmed Ould Abba, Roméo fugitif et Juliette au violon

lun, 14/11/2022 - 10:59

Le 5 novembre 2022, à Nouakchott, capitale de la République islamique de Mauritanie, Mama Mint Moustapha, étudiante d’Anglais, à la faculté de lettres et influenceuse en placement de cosmétiques, tente de mettre un terme à ses jours ; les entailles, qu’elle s’infligea aux veines, entrainèrent son transport vers la clinique Inaya ; elle ne put y bénéficier des premiers soins d’urgence car l’établissement réprouve le suicide, au motif de son incompatibilité avec les prescriptions de l’Islam.  Transféré à l’hôpital de traumatologie et des grands brûlés, elle reçut, là, une prise en charge non assortie de conditions. Cependant, la famille la fait immobiliser dans le commissariat de police où elle était détenue, l’avant-veille, en compagnie d’un groupe de féministes venues lui apporter leur soutien, dès le début de sa rétention. Quel crime grandiose a commis Mama Mint Mustafa, née de famille qui revendique la généalogie des Chérifs, les héritiers présumés du Prophète ? A cause du constat de suicide, elle passe, le même soir, des mains du médecin à celles de la police. Des activistes des droits humains parviennent, péniblement, à la soustraire de là, au prétexte d’un nouvel examen de ses blessures.

 

Au commencement, était l’amour

 

Tout prend corps, un peu au hasard, le 2 novembre, lors d’un échange public entre les usagers d’une page Meta assez suivie en Mauritanie. « Mama est un cœur à prendre », insinue un internaute et un autre lui rétorque qu’elle n’est plus célibataire, depuis tel jour ; l’on apprend, alors, la célébration, en catimini, du mariage coutumier, le 31 octobre ; l’heureux élu, Seddoum Ould Ahmed Ould Abba, descend de son homonyme Seddoum Ould Ndjiartou dont la notoriété de poète, chanteur et musicien remonte à la fondation de la société de caste parmi les maures de l’ouest saharien. Sidati Ould Abba, grand père de l’époux clandestin avait composé les notes de l’hymne national, d’où la célébrité du personnage et la densité de son empreinte dans la mémoire de ses compatriotes, bien au-delà des disparités de langue et d’appartenance ethnique. Le secret éventé, l’information suscite un énorme scandale de mésalliance, délit de stigmatisation que le droit mauritanien se garde de réglementer. En vertu de la préséance des nobles et de la supériorité de race qu’elle implique, le rejeton de griots - soient-ils d’un renom inégalité - ne saurait épouser une petite-fille du Prophète de l’Islam. Il y aurait, là, une insulte à l’ordre divin.

 

Au milieu survint l’orgueil

 

Le 2 novembre, les parents de Mama Mint Mustafa portent plainte contre Seddoum Ould Abba, le conjoint indigne de leur fille et l’accusent de suborner une « mineure » ; néanmoins âgée de 23 ans, elle en est à son second ménage et n’a donc pas besoin d’un visa du tuteur au moment de se choisir un compagnon. La police procède à l’arrestation du couple, provoquant l’attroupement, autour du Commissariat, de leurs partisans respectifs. Les partisans respectifs des détenus s’échinent à obtenir, d’un commun accord, la dissolution de l’acte marital, sans nul égard à la décision d’adultes consentants. A ce stade, les parents des deux engagent la totalité de leurs réserves de célérité et de relations, pour étouffer le bruit, du moins en éviter l’amplification. Cependant, accroc de taille, la police s’estime incompétente, en l’absence d’une infraction de droit commun et renvoie, le dossier, à un magistrat instructeur.

 

C’est ici que se jouera l’acte fatal, à force de fraude, d’intimidation et d’abus de pouvoir, du fait d’un interprétation frauduleuse d’une clause du statut personnel selon la différence de doctrine au sein de la Sunna : de guerre lasse face à la limpidité du droit, les plaignants s’adressent à un Cadi du Ksar, quartier historique de Nouakchott, afin d’obtenir, vite, une décision quant au fond. Sous la pression, les menaces et les insultes de caste, Seddoum se retrouve contraint de signer l’attestation de répudiation (talaq), avant de s’éclipser. A partir de cet instant, Mama disparaît de la circulation et cesse de répondre aux messages. La rumeur la répute battue, ligotée, enfermée ou déportée, à l’intérieur du pays, dans la localité de Guérou, à environ 550 km de la capitale.

 

A la fin, l’infamie et la souffrance

 

Aussi, le 5 novembre, un groupe de ses camarades, amies et co-influenceuses se résout à lui rendre visite, chez elle. Seule l’une d’elle franchit le seuil tandis que les autres l’attendent, dehors. Elle ressort, rapidement, suivie de l’otage, Mama et de la mère de celle-ci, qui la poursuit, prenant les passants à témoin ; « attrapez-là, elle est folle », criait-elle, aux fins de rameuter les badauds dont certains revenaient de la prière du vendredi. La foule se rangeait du côté de la famille et entreprit d’agresser Mama en vue de la ramener, au domicile, contre son gré. Le groupe des féministes, confronté à la violence de la famille, s’efforçait de se protéger des coups et de la séquestration, à l’intérieur du domicile et alentour. Une mêlée s’ensuivra, jusqu’à l’arrivée de la police. Les agents embarquent les protagonistes et les placent en garde à vue, durant 8 heures, au Commissariat du Ksar 2. A la fin de l’interrogatoire, le beau monde recouvre la liberté, sous le régime de la caution, à l’exception de Mama ; elle retombe sous la coupe réglée des siens. La tentative de suicide survient peu d’heures, après.  En amont de l’agression, la victime expliquait, en public, son mariage forcé et le harcèlement sexuel qu’elle subissait, encore enfant.

 

Observations

 

Les cas du genre et apparentés sont légion et les autorités de police et de justice y réagissent en totale violation du principe de base de la citoyenneté qui reconnaît l’équivalence, des humains, par-delà les différences de statut et/ou d’identité. L’on se souvient encore du chercheur généalogiste Hassan Suleiman Baidy, toujours maintenu en détention préventive depuis plus d’un an, parce qu’il contestait les prétentions hachémites de plusieurs familles et tribus.  En Mauritanie, l’appareil d’Etat, tant qu’il peut le dissimuler, s’improvise désormais gardien des normes traditionnelles d’inégalité de naissance ; les praticiens du droit, en majorité formés à l’école du Fiqh conservateur et du tribalisme, protègent le groupe et le patriarcat, davantage que l’individu et les femmes. L’éducation et la mentalité du personnel en charge de la justice s’enracinent dans la mémoire d’un racisme, à la fois évident, brutal et sincère. Cette perception du monde, de la vie et du temps à venir recèle l’une des formes les moins confidentielles de l’aversion au progrès social. En présence de dizaines d’auditeurs autour du Commissariat de police, les ravisseurs de Mama traitaient, les filles féministes, de « mécréantes », de « juives » et d’«ennemies de l’Islam » et leur promettaient une fin violente. D’autres, pris d’hystérie, dénonçaient les droits de l’homme comme une perversion de la morale. Ni le mari lésé ni les activistes présentes n’ont échappé aux insultes, de la part des policiers en service. Aucune loi de la Mauritanie ne pénalise l’antisémitisme, l’incitation à la haine et l’appel au meurtre, s’ils se déclinent en incantation religieuse. Au nom de la foi absolue et de la surenchère que la religiosité engendre, presque tout est permis. Ainsi, les membres du camp solidaire de Mama commencent-t-il à recevoir des messages téléphoniques d’intimidations et de menaces ; or, seule la police dispose de la liste de leurs numéros. Ce développement dangereux mérite mention.

 

Comme des dizaines de filles avant elle, Mama Mint Mustafa, dans la fleur de l’âge, se trouve en situation de danger de mort, à cause de son environnement immédiat ; en Mauritanie, la société accorde une emprise exorbitante à la tutelle des parents, sur la progéniture féminine, qu’elle soit mineure ou pas. Aujourd’hui, les tuteurs de Mama s’obstinent à l’assigner en psychiatrie, malgré la clarté de ses idées et la puissance de son ambition de fille émancipée.  Face au défi, le gouvernement, ses législateurs et sa justice prennent le parti de préserver les codes de l’Ancien, quitte à sacrifier la sûreté de la personne. Le pouvoir du moment ne semble pas en mesure de garantir, aux jeunes gens, la jouissance des conditions minimales du bonheur et de la sécurité, sur le territoire où ils naissent et grandissent. Aussi, à défaut de s’assurer un minimum de décence au bercail, la plupart des victimes ne raisonnent plus qu’en termes d’exil, de libération et d’accomplissement, loin du pays. Une vague d’émigration se déploie, discrète, en direction des sociabilité permissives de l’Europe, de l’Amérique et de l’Extrême-Orient.

 

Lanceurs d’alerte

Attention, le récit décliné, dessous, n’est pas une fiction

Chezvlane

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