Le centre de Réflexion pour le Sahel (CR-Sahel), est un Think Tank d’études et de recherches spécialisé des questions sécuritaires, économiques et de développement au Sahel. Regroupant plusieurs chercheurs et associations du Sahel, il est piloté par Fawzi Banao, chercheur spécialiste en mobilisation des ressources et gouvernance des pays du Sahel. Ainsi, dans le cadre de son programme Etudes et Recherches, le CR-Sahel a initié cet article portant sur la contrebande d’or au Burkina Faso basé sur le témoignage d’un contrebandier.
Cet article, basé sur le témoignage d’un contrebandier, membre d’un comptoir parmi tant d’autres, opérant au Burkina Faso et au Mali, présente de façon descriptive un type de circuit illégal de transport de l’or, et les arrangements qui existent entre les trafiquants et des éléments des forces de l’ordre des pays cités. Ce témoignage met aussi à nue les lacunes dans les contrôles routiers des voyageurs notamment au niveau des frontières.
Pour des raisons de sécurité, nous avons changé l’identité de notre témoin.
Doudou (nom d’emprunt NDLR) est membre d’un comptoir illégal d’orpaillage installé au Burkina Faso. Ce comptoir possède des bases dans les grands centres urbains notamment dans les régions du centre nord (Ouahigouya), sud-ouest (Gaoua). Le métal jaune est acheté auprès des orpailleurs artisanaux qui par la suite est évaluée à Ouagadougou et acheminée dans la capitale malienne. Il reçoit ses ordres directement de son chef qui lui dit quand et où partir, avec quelle quantité d’or brute. « Je suis toujours informé de la date de nos voyages ainsi que de l’itinéraire le jour même du voyage » dit-il.
Ce jour-là, la destination était Bamako. « J’embarque la même nuit à Ouagadougou [capitale burkinabè] dans une compagnie de transport de la place pour aller à Bobo Dioulasso [deuxième plus grande ville située dans l’Ouest du pays]. J’ai avec moi 10 ou 12 kilos d’or en lingots bruts d’une valeur d’environ 200 millions de CFA camouflés dans un sac à dos. Je dois éviter d’attirer l’attention sur moi et pour cela j’évite les causeries et échanges avec les passagers et cela même quand il s’agit d’une connaissance. Je dois également rester éveillé tout le trajet et pour cela, je prends des stupéfiants », confie Doudou. Et « en général le trajet Ouagadougou-Bobo Dioulasso se déroule sans difficultés majeures au niveau des postes de contrôle » poursuit-il
OUAGA-BOBO, TRAJET SANS ENCOMBRE POUR LE DEALEUR
Le passeur sera rejoint à Bobo-Dioulasso par un autre membre de l’organisation afin de se rendre dans « un bureau annexe du comptoir d’achat pour opérer des changements dans le mode opératoire des lingots ». Car, en effet « à partir de Bobo Dioulasso les lingots sont mis dans des chaussettes de sport puis très bien scotchés tout au long de mon corps plus précisément du ventre au dos », ajoute Doudou.
DES ARRANGEMENTS BIEN HUILES
546 kilomètres séparent Bobo-Dioulasso de Bamako. Ce trajet décomposé en quatre itinéraires précis sera entièrement effectué à moto, le moyen de transport le plus courant dans cette région Ouest Africaine. La prochaine destination est Orodara, une ville située à 76Km de Bobo-Dioulasso. Là, le dealeur passe « sans danger » les « deux postes de contrôle à l’entrée et à la sortie de la ville » puisque ces checkpoints concernent « uniquement les documents d’identité et les papiers de la moto ». Direction Koloko à une quarantaine de kilomètres plus loin. « Après 1h30 environ de route, j’emprunte une voie de contournement pour me rendre à Heremakono, à la frontière Burkina-Mali, où se trouve un « poste de contrôle rigoureux ». Mais « je m’arrange à passer le contrôle à l’heure de garde d’un agent des forces de défense et de sécurité du Burkina Faso avec qui nous avons un arrangement. Notre arrangement consiste à verser une somme variant de 600 mille à 1millon de Franc CFA par trimestre pour nous aider à passer la frontière sans être démasqué » détaille Doudou. Il est « environ 12h » quand le coursier foule le territoire malien, et doit « aller vite pour atteindre Bamako avant la tombée de la nuit »
Après deux heures de route et le passage à la frontière, Doudou arrive à Sikasso. Ainsi, il se trouve un autre poste de contrôle malien. Là « je lie un second arrangement avec un membre des forces de défense et de sécurité, en échange de 300 à 500 mille francs CFA pour ne pas être contrôlé et arrêté. Cependant, il arrive que je tombe sur des agents avec qui j’ai déjà traité. Et dans ce cas, la somme est réduite à 250 mille Francs CFA ». 14h passée de quelques minutes, Doudou reprend la route et s’arrête de nouveau à Bougouni pour un contrôle « léger » sur ses « origines » sans « autres formes de fouille ». Le discours est rodé. Il devra payer « systématiquement 25 mille francs » après avoir expliqué qu’il est commerçant burkinabé se rendant à Bamako « pour acheter des marchandises, pour ensuite les revendre à Bobo-Dioulasso ». Ce n’est qu’à 20h, soit 12 heures de route au total, que Doudou arrive à Bamako. Au comptoir à Bamako, la marchandise est évaluée au cours de la nuit « pour la revente des lingots d’or ». Le lendemain, la « première moitié de la recette » lui est remise. L’autre moitié « arrivera par un autre circuit de transport de marchandises de Bamako à Ouagadougou ».
SUR LE CHEMIN DU RETOUR
« Le voyage retour sur Ouagadougou représente aussi un moment de peur pour moi », raconte Doudou puisque à cette étape de son trajet, il transporte une forte somme d’argent dans un sac qui est souvent difficile à camoufler. « Je dois alors redoubler plus de prudence car une fouille simple de mon sac lors des contrôles frontaliers peut conduire à mon arrestation. » « De plus je peux être victime de braquage à main armées lors de mon retour, car cela arrive très souvent à certains de nos collaborateurs d’autres comptoirs. Personnellement je n’ai jamais été une victime de cela mais je dois rester vigilant tout au long du chemin du retour.
Une fois arrivé dans la ville de Bobo-Dioulasso, Doudou rejoint son comptoir annexe dans cette ville. Ainsi, sur instruction de son chef depuis Ouagadougou, l’argent transportée est divisée en part égale. La moitié reste au comptoir de Bobo-Dioulasso, l’autre moitié est transportée par Doudou jusqu’à Ouagadougou. « Dès mon arrivé sur Ouaga je suis accueilli en gare par un collaborateur et direction à notre comptoir mais en faisant des détours dans la ville pour être sûr que nous ne sommes pas suivis par les agents de la Brigade Nationale anti-fraude(BNAF) de Ouagadougou »