POINT DE MIRE. Sénégal/Quand la « délinquance politique » s’empare de la rue.

mer, 29/03/2023 - 21:05

Le 18 mars 2021, mon confrère Amadou Ba journaliste sénégalais diplômé du Centre d’Etudes en Sciences et Techniques de l’Information de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar  chercheur et formateur en  journalisme  avait écrit un excellent article sur l’affaire Sonko-Adji Sarr, cette affaire devenue virale. A un moment dans tout le Sénégal, avec ses intellectuels, ses juristes, ses politiques, ses journalistes et surtout ses désœuvrés ne parlaient que de ça.

Pourtant au départ, comme l’avait dit mon ami Amadou Ba, il ne s’agissait en fait que  d’une de ces histoires de sexe qui occupent à longueur de pages de journaux de faits divers. Une affaire de sexe qui pouvait comme toutes les autres, passer inaperçue dans un pays où la prostitution est tolérée, si un homme et pas n’importe lequel ne s’était pas donné en spectacle en se faisant masser nu dans un salon pas n’importe lequel et par une fille pas n’importe laquelle.

Que Monsieur Ousmane Sonko se soit rendu dans ce salon de massage huppé de la capitale sénégalaise, comme il le prétend pour,  se soulager d’un mal de dos ou pour  « mettre à jour son carnet de tir » comme le disent les militaires, Ousmane Sonko âgé de 57 ans a cette date  a commis la plus grande erreur de sa vie en se rendant dans ce salon où donc d’habitude,  tout se passait dans une intimité absolue loin des regards.

Y’a-t-il eu rapports sexuels consentis ou obtenus sous la menace ? Y’a-t-il eu viol sous menace armée ? En attendant que les investigations et les enquêtes qui se croisent décident de la définition de l’acte d’accusation à retenir contre celui qui a brillé  par sa popularité dans cette affaire scandaleuse, ce qu’il faut retenir, c’est que Ousmane Sonko, celui par qui tout ce malheur est arrivé, s’est accusé lui-même en jouant à l’acteur dans un film de massage à l’huile thaïlandais, dans  un salon « Sweet beauty » réservé semble-t-il à une classe privilégiée de la Star Up politique et financière.

Quand la politique et la prostitution ne font pas bon ménage.

Jusqu’au moment de l’éclatement de cette affaire déclenchée le 2 février 2021 par les investigations de  la Section de recherches de gendarmerie de Colobane,  Ousmane Sonko, jeune député et étoile politique montante était  l’espoir d’une grande majorité de la jeunesse sénégalaise avide de changement politique qui divorcerait avec le recyclage de la vieille aile politique traditionnelle  de ce pays dont la démocratie est l’une des plus avancées du continent.

Malheureusement pour lui, cette affaire de sexe (il faut appeler les choses par leurs noms) risque bien de lui couter très cher sur le plan de la crédibilité » morale et politique. Ousmane Sonko, chef du parti d’opposition Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la fraternité (Pastef). n’est plus aujourd’hui qu’ un opposant éclaboussé par une salle affaire de prostitution en maison close.

Cette perte de valeur peut à la longue lui couter très cher. Elle peut lui couter très cher, parce c’est  vraiment malhonnête de sa part et aussi malhonnête de la part de ceux qui le soutiennent de chercher à transformer cette  affaire de prostitution haut de gamme en une  affaire politique qui oppose deux hommes Macky Sall et Ousmane Sonko.

Sur le plan politique, les deux hommes se battent, l’un, (Macky Sall) pour briguer un mandat de plus (le troisième, contesté), l’autre (Sonko) pour chercher à arriver à la  première place  aux futures élections présidentielles.

Ce qu’il faut peut-être savoir,  c’est que si  dans la réalité,  Macky Sall se bat en apnée en ce moment pour briguer un troisième mandat, Ousmane Sonko lui, doit avant tout se battre pour prouver aux sénégalais que même frappé du sceau de la « délinquance sexuelle », il peut mettre en confiance les sénégalais pour lui confier l’avenir de leur pays.

La question est celle-là. Et c’est là le problème dans sa dimension réelle. Ce n’est donc pas comme certains le laissent penser une affaire Macky Sall/Sonko, même si dans cette affaire il y’a des coups bas de part et d’autre dans les deux camps dont les responsables se regardent en chiens de faience.

Il va de l’avenir du Sénégal, un pays qui est un exemple de démocratie et qui prouve par des acquits mesurables une  émergence qui donne à ce pays une longueur d’avance sur tous ses pays voisins.

Quand Sonko joue au Général de la Rue.

Le 3 mars 2021, le député Ousmane Sonko avait été convoqué par le juge d’instruction en charge du dossier pour répondre de l’accusation de viols. C’est aussi  depuis  ce jour-là au jusqu’au 8 mars que tout le Sénégal avait  basculé dans un cycle de séries d’émeutes et de violences. Simplement parce que le 3 mars justement, Ousmane Sonko, pour se rendre au lieu de la convocation du juge d’instruction pour répondre de l’accusation de viols s’était entouré d’une foule nombreuse de militants, de sympathisants et surtout de jeunes hostiles au pouvoir en place.

Le « Général de la Rue  de Dakar » Ousmane Sonko  avait consciemment lancé ses troupes dans une bataille de violences inouïes. Le bilan était très lourd : 13 morts et plus de 600 blessés (chiffres fournis par la Croix-Rouge sénégalaise). Sur le plan économique c‘était la désolation. Des surfaces de grande distribution, des stations d’essence, des commerces ont été saccagées et pillés par des fumeurs de joints, des repris de justice  et par les squatteurs de la décharge de Mbeubeuss.

Ce que beaucoup de sénégalais reprochent à Ousmane Sonko, c’est d’avoir occupé le devant de la scène depuis mars 2021, par les tenants et les aboutissants d’une affaire de mœurs très  légères indigne d’un homme politique  dont le rêve est de  présider  un jour aux destinées d’un pays bourré de  politiciens et de  juristes qui comptent parmi les plus intellectuels du continent.

La malhonnêteté politique de Ousmane Sonko est un péché. Un péché social dès l’instant que l’Homme Politique conscient qu’il  se cache derrière une armée de délinquants déchainés qui n’ont pour objectif -inavoué - que de mettre le Sénégal à feu et à sang,  n’a pas appelé ses troupes à la retenue.

Donc transposer le problème dans un cadre qui n’est pas son cadre réel c’est déplacer le problème. Une affaire de justice est avant tout une affaire de justice. Elle a ses tenants et ses aboutissants qui,  dans la logique, doivent  s’inscrire  dans la lecture  du droit et de la loi qui s’appliquent à tout citoyen que celui, soit un homme politique, qu’il soit simple citoyen, qu’il soit poursuivi pour rapports sexuels non désirés ou  qu’il soit poursuivi pour consommation de produits illicites comme ces repris de justice  qui profitent des mêlées des manifestations  pour saccager les biens publics.

Un président synthèse de race, et de culture politique.

Le président Macky Sall est un homme politique très controversé. Il est à l’image de l’homme qu’il donne lui-même de lui-même. Un sénégalais de synthèse. C’est un homme à la fois en hausse et en baisse dans les sondages.

Il est en hausse dans les sondages, catapulté par des réalisations qui entrent dans le cadre de mégaprojets qui propulsent le Sénégal de manière vertigineuse vers les horizons 2050, où la prédominance se veut  caractérisée par une politique technopole qui place son pays à la tête des pays émergents. Cette hausse dans les sondages lui est attribuée par une classe intellectuelle et une élite politique qui œuvrent  pour un Sénégal à nouveau visage.

Mais par ailleurs, il est en baisse dans les sondages ou en tous cas les sondages de la rue. Le sénégalais moyen et celui qui vit en dessous du seuil de la pauvreté élèvent de plus en plus leurs voix en  indexant l’actuel président sénégalais comme responsable de toutes les crises  politiques et sociales qui gangrènent la vie de la nation sénégalaise.

Au-delà  même de l’affaire Adji Sarr/Ousmane Sonko, les analystes et les critiques politiques qui envahissent les débats politiques sur les chaines de télévision de références comme TFM, Walfajry, iTV, dans des émissions phares comme Subatel, Grand Angle et autres  vissent et dévissent des arguments croisés sur les frustrations sociales et économiques  qui étouffent les populations sénégalaises.

En 2021 dans un manifeste, des  professeurs d’universités sénégalaises avaient lancé l’alerte précoce sur ce qui pourrait entrainer  une crise de l’état de droit et de la justice qui  commençait à s’ériger en règle depuis l’accession au pouvoir de Macky Sall. Comme le mentionnait mon confrère sénégalais, des intellectuels, des journalistes et  des artistes avaient relevés des atteintes aux droits fondamentaux et aux libertés publiques consacrés par la Constitution aux citoyens d’un pays tellement différent des autres de la sous-région.

Ce qui est évident, c’est que Macky Sall arrivé au pouvoir en 2012 donne depuis quelques années les gages d’un président qui affiche une réelle volonté de bâtir un pays sur un développement moderne. Le visage du président sénégalais vu sous cet angle, encourage à le soutenir dans sa lancée, une lancée que certains ne veulent pas freiner en 2024.

Mais par ailleurs, même si beaucoup d’autres sénégalais reconnaissent à l’homme une volonté affichée de faire du Sénégal un pays moderne où il fait bon de vivre,  ces derniers voient toujours  en lui aussi, un élément de la vieille école politique sénégalaise  que le temps a rongé et miné par une « réplique » des passés politiques des présidents  Abdou Diouf et Abdoulaye Wade.

  

Ce qui est arrivé au Sénégal ces deux dernières années à cause de l’entrée fracassante de Ousmane Sonko dans l’arène politique ne doit pas faire oublier aux sénégalais l’essentiel. L’essentiel c’est de mettre la paix et la sérénité en avant,  avant tout,  même s’il faut sacrifier l’un ( Macky Sall) ou l’autre (Ousmane Sonko) ou les sacrifier tous  les deux pour un Sénégal politiquement apaisé.

Le choix est entre les mains des sénégalais, des sénégalais qui doivent comprendre avant tout qu’une  « Sonkolisation » de la rue qui engendre la violence n’est pas la bonne solution. Le Sénégal a déjà compté trop de morts,  parce que simplement Ousmane Sonko et Adji Sarr ont à un moment en toute complicité  joué à une partie de plaisir dont le goût devient maintenant de plus en plus amer.

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant.

Actualités