Le chef de l’Etat de 2009 à 2019 avait forgé « une amitié vieille de quarante ans » avec l’actuel président et « se voyait déjà faire comme Vladimir Poutine avec Dmitri Medvedev ». Son successeur a préféré le garder à distance, jusqu’à sa chute judiciaire.
Stoïque, Mohamed Ould Abdel Aziz a écouté son jugement. L’ancien président mauritanien (2009-2019) a été condamné, lundi 4 décembre à Nouakchott, à cinq années d’emprisonnement pour « enrichissement illicite » et « blanchiment ». La cour a ordonné la confiscation de ses biens et prononcé son inéligibilité. Une peine sévère, même si elle ne suit pas les réquisitions du parquet qui avait demandé vingt ans d’emprisonnement.
Lors de ce procès ouvert il y a plus de dix mois, une audience inédite en Mauritanie par la qualité du principal accusé, dix autres personnalités issues des sphères politiques et économiques étaient également jugées pour « abus de fonctions » et « trafic d’influence ». La cour a blanchi deux anciens premier ministres et d’anciens ministres.
D’autres condamnations, dont la plus sévère est de deux ans avec sursis et six mois ferme, ont été prononcées contre les coaccusés. Toutes les peines de prison ferme sont couvertes par la détention provisoire à l’exception de M. Aziz, le seul à rester en détention après dix-huit mois d’incarcération. Ses avocats vont faire appel.
Depuis l’ouverture du procès en janvier, la défense de Mohamed Ould Abdel Aziz, 66 ans, n’a cessé de dénoncer un « complot politique ». Celui-ci aurait été ourdi par Mohamed Ould Ghazouani, son successeur à la tête de l’Etat depuis août 2019. L’amitié « vieille de quarante ans » entre les deux hommes, renforcée par deux putschs (en 2005 et 2008) puis lorsque l’actuel président fut le directeur de cabinet et le ministre de la défense de Mohamed Ould Abdel Aziz, n’aura pas survécu à leur passation de pouvoir.
« Aziz gérait tout »
Elu président en 2009 puis réélu en 2014, Mohamed Ould Abdel Aziz ne pouvait briguer un troisième mandat en août 2019. Avec Mohamed Ould Ghazouani, il a estimé avoir trouvé son successeur. « Un an et demi plus tôt, il a prévenu son ami en lui disant : “Prépare-toi, c’est toi qui prends la suite !”, raconte un observateur de la scène politique mauritanienne. Aziz avait fait ses calculs et pensait qu’il allait pouvoir manipuler Ghazouani. Dans l’ombre, il se voyait déjà tenir les rênes du pouvoir, comme l’a fait Vladimir Poutine avec Medvedev...
Le Monde - Pierre Lepidi