Foncier en Mauritanie. Quand le droit s’efface, la spéculation s’installe

jeu, 14/08/2025 - 06:53

En Mauritanie, la terre n’est pas qu’un espace physique. Elle est mémoire, richesse et promesse d’avenir. Mais quand le droit s’efface, elle devient terrain de spéculation, excluant les plus modestes et fragilisant la cohésion nationale.

Rompre avec cette logique exige plus que des discours. Il faut appliquer la loi, protéger le bien commun et redonner à la terre sa vocation première. En Mauritanie, la terre devrait être une promesse. Pourtant, elle est devenue un marché de chasse réservé à quelques initiés. Dans les terres hautes comme dans les quartiers stratégiques des villes, les prix flambent.

Les familles modestes reculent toujours plus loin, tandis que l’économie s’essouffle dans une logique de rente qui ne produit ni logements décents ni emplois durables. Cette dérive n’a rien d’un hasard. Elle résulte d’un engrenage bien connu. Des lois qui existent mais restent lettre morte, des réseaux qui organisent la spéculation et un appareil public qui, trop souvent, ferme les yeux. Lorsque la régulation s’efface, la logique marchande occupe tout l’espace, reléguant l’intérêt collectif au second plan.

Quand la loi s’efface, le marché s’emballe

L’ordonnance n° 83-127 affirme que la terre appartient à la Nation. Pourtant, dans la réalité, cette Nation assiste impuissante à sa propre dépossession. Le Code des Droits Réels impose l’immatriculation et la publicité des transactions afin de protéger la propriété et d’éviter la fraude. Mais dans plusieurs cas, ces dispositions ne sont pas appliquées, ouvrant la voie à des pratiques opaques. Ainsi, à Nouakchott Nord, certains terrains issus du domaine public ont été attribués sans viabilisation, puis revendus avec une plus-value considérable en moins de deux ans, selon des témoignages du marché foncier. Ce vide pratique n’est pas anodin , il transforme des biens collectifs en profits privés, à l’abri du regard citoyen.

Un marché qui nourrit la rente, pas le développement

L’accès au crédit immobilier en Mauritanie reste limité, et cela est en grande partie dû à l’opacité dans la gestion foncière. Moins de 15 % des ménages accèdent au financement formel, en partie parce que la gestion des titres fonciers reste souvent perçue comme fragile ou précautionneuse. Bien que les titres existent, ils sont parfois entachés de doubles emplois, de titres administratifs précaires ou d’un manque de certitude juridique quant à leur validité. Cela génère une insécurité juridique qui empêche les institutions financières de financer des projets fonciers ou immobiliers. Les banques, faute d’un cadre fiable, hésitent à accorder des crédits lorsque les propriétés ne peuvent pas être vérifiées de manière claire et sécurisée. La situation actuelle, marquée par l'informalité de nombreuses transactions, renforce l'opacité et empêche une circulation fluide du crédit. Cependant, si la gestion foncière était rationalisée et si des systèmes de titres clairs et fiables étaient mis en place, cela ouvrirait la voie à un marché immobilier plus dynamique. Un meilleur accès au crédit stimulerait la construction, créerait des emplois et renforcerait la stabilité économique du pays. La fracture sociale au bout de la rue

Ces logiques spéculatives ont des effets visibles. Dans les centres-villes, le prix du mètre carré repousse les familles modestes vers des périphéries dépourvues de routes, d’eau potable et de services publics. En parallèle, les baux sont rarement enregistrés comme l’exige le Code Général des Impôts, ce qui prive les locataires de droits essentiels et empêche l’État de disposer de données fiables. Dans certaines zones agricoles de la vallée, l’urbanisation sauvage grignote les terres fertiles et fragilise les équilibres communautaires. Ce déplacement forcé des usages alimente parfois des tensions intercommunautaires, qu’un agriculteur résume ainsi : « La terre de mon père nourrit aujourd’hui un promoteur, pas ma famille ».

Briser la rente foncière. Pas avec des slogans, avec des actes

Mettre fin à ce cycle ne passe pas par une accumulation de lois nouvelles, mais par l’application effective de celles qui existent déjà, accompagnée d’une pédagogie claire. Il faut rendre visible, rendre responsable et rendre accessible. Rendre visible, c’est faire connaître le cadastre numérisé. Il est en cours de déploiement, mais un outil invisible au public reste inutile. Campagnes radio en langues nationales, démonstrations sur les marchés, affichages dans les mairies : autant de moyens pour que chacun puisse vérifier simplement si un terrain est public, privé ou en litige. Rendre responsable, c’est sanctionner l’inaction. Un terrain viabilisé qui reste vide pendant des années est un gaspillage économique et social. Appliquer réellement des taxes sur la rétention foncière inciterait à construire ou à revendre. Rendre accessible, c’est garantir un marché régulé. Les lots issus du domaine public doivent intégrer des clauses strictes de revente : pas de cession avant cinq ans, sauf exception validée et rendue publique. L'État devrait établir une autorité administrative indépendante, associant les citoyens pour garantir une plus grande transparence et renforcer la volonté de réguler efficacement le marché foncier. Parallèlement, une société foncière publique, chargée d’acquérir, d’aménager et de revendre à prix encadrés, pourrait jouer un rôle clé dans la régulation du marché, sous la surveillance d’un comité citoyen indépendant. Enfin, toutes les transactions baux, ventes, transferts doivent être enregistrées dans des bases reliées au cadastre et au fisc, avec des sanctions dissuasives pour ceux qui s’y soustraient.

La terre n’est pas un produit comme un autre. Elle est à la fois la base de notre souveraineté et le ciment de notre cohésion sociale. Un pays qui laisse son espace se vendre au plus offrant perd, tôt ou tard, le contrôle de son destin. La Mauritanie a besoin d’un État qui protège la terre comme un bien commun et applique la loi sans exception. Nous ne pouvons pas laisser la carte foncière devenir un puzzle dont les pièces se négocient à l’unité. C’est maintenant qu’il faut agir, avec la loi comme bouclier et la justice sociale comme horizon.

Mansour LY

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